La source retrouvée, la femme disparue.

Le 20 mars à 8:30 je retrouve Katya à la réception de l’hôtel. Nous montons en voiture et direction Alexandrov. (Alexandrov infos)

Pendant le voyage je sentais la fièvre s’installer nous allons en avoir pour 2 heures de trajet. De la neige partout, des routes glissantes, un chauffeur très adroit, et une accompagnatrice très gentille qui me fait la conversation.

« Aujourd’hui c’est le printemps » Je ne m’en rendais pas compte, pour moi l’hiver envahissait le moindre espace.

hera-pan-cake-day-in-russia-xvii

« Du 10 au 16 mars c’est Maslevitsa, la semaine des crêpes avant le carême orthodoxes. » Nous sommes en période de carême donc… « Le Jeudi 14 mars c’était le jeudi propre, l’eau est à l’honneur, on nettoie toute la maison de fond en combles on va au bagna pour se purifier, on se baigne ». L’hiver à l’époque de Pierre le grand était une période de repos on ne travaillait pas, dès le printemps on fait la fête, on brule les grandes poupées de paille, on dit au revoir à l’hiver et bonjour au printemps.

Ceci dit  cette année on peut faire la fête, pour se convaincre que c’est le printemps. L’hiver n’a pas envie de laisser sa place. Je ne sais pas si les cendres de Dame Maslevitsa vont fertiliser la terre cette année?

« Le samedi 16 c’était la fête des parents, on passe la journée avec eux autour d’une table ou au cimetière. Le dimanche cette année le 17 c’est le jour du pardon ».

« Oui l’eau c’est important pour les Russes. Même avec les interdictions de se baigner dans la Moskova qui est polluée, les russes vont sur les plages du fleuve. » L’eau sale ne peut pas être si sale. Les russes se baignent toute l’année. Près de la Datcha de Katya, passe une rivière, l’eau est verte, on se baigne . Cette rivière s’appelle la sorcière. La sorcière ou la sourcière c’est pareil.

hera-anneau-or-russie

Depuis quelques temps nous roulons dans la région de Vladimir en direction de Alexandrov. Vladimir est l’une des villes du cercle d’or ou de L’anneau d’or au nord-est de Moscou entre la Volga et la Kliama et délimité par d’anciennes cités princières : Aleksandrov, Vladimir et Serguei Possad notamment.

L’anneau d’or est une poche de terre noire particulièrement fertile. Elle a joué un rôle considérable dans le développement économique de la Russie. Outre cet atout, sa position géographique sur les routes fluviales lui conféra très tôt une position géographique et stratégique de première importance. Véritables musées en plein-air, ces villes médiévales gardent la mémoire des évènements les plus importants de l’histoire russe. Les cathédrales et les églises, les couvents, les monastères, et les musées des beaux-arts frappent par leur splendeur et témoignent de la richesse du patrimoine russe.

Alexandrov fut pendant 3 mois durant le règne du Tsar Ivan le Terrible la capitale de la Russie. Nous n’irons pas jusqu’à Alexandrov nous bifurquons vers Makhra.

 

hera-village-makhra-3 hera-village--makhra hera-alexandrov-holy-trinity-stefan-makhrishchskys-monastery-2 hera-alexandrov-1

 

Nous arrivons dans le village de Markha. Ce village a été construit autour d’un lac et d’une rivière. Le chauffeur me demande l’adresse. Ca va être coton je le sens. Rien est indiqué, et y’a de la neige à hauteur d’homme. En demandant notre chemin, nous arrivons tout de même dans un quartier de ce village. La voiture s’engage dans un chemin, je devrais dire dans un couloir de neige. Devant nous un homme s’écroule ivre. Le chauffeur l’évite. Il est aussitôt relevé, l’indifférence dans ce pays tue.

 Une femme chargée de paniers de provisions. Nous l’abordons. Elle nous regarde à peine et continue sa route. Nous restons coi. Elle fait demi tour… « Si vous me ramener chez moi je vous indiquerai la maison de Iulia. » Je regarde Katya et lui dit « Demandez lui si elle connait Iulia ». « Qu’est ce que vous lui voulez à Iulia? » J’explique pourquoi nous sommes là.

« Iulia est morte le 07 mars 2013″.

Ma gorge se serre, j’ai de la pluie dans les yeux… Non cette femme que je rêvais de rencontrer meurt la veille de mon départ de France …

« Si vous voulez je vais vous montrer la source et je vais vous parler de Iulia, on se connaissait bien et nous irons voir son fils Serguei ».

Nous ne verrons pas Serguei. La peine, la douleur, l’empêchent de nous recevoir.

Le programme est fixé par notre guide Ludmilla. « Nous allons à la source, après vous venez prendre le thé à la maison ». « Ok ça roule ou plutôt ça glisse ».

 

La source, perdue dans la forêt, cette forêt que tous les jours Iulia a parcouru à la tête de son régiment de cosaques. C’est d’ailleurs lors d’une de ces patrouilles qu’elle retrouvera la source sacrée.

hera-foret-alexandrov hera-alexandrov-monastere hera-alexandrov-monastere-2 hera-serguei-possad-to-makhra

A partir du XIVe des pèlerins nus pieds partaient du monastère de Sergueï Possad, monastère « cœur de l’orthodoxie russe » fondé au XIV e par St Serge de Radonège, St patron de la Russie; vers le monastère de Makhra (Sainte Trinité Stefan de Makhrishchsky). Leur seule escale était à cette source pour se désaltérer. Le monastère consacra la source. Ivan le terrible avait l’habitude de faire retraite dans ce monastère. La source devient sainte.

A la période soviétique toutes ces pratiques ont été oubliées, la source perdue, la mémoire s’est effacée.

C’est en 1995 que le monastère de Makhra en ruine devient un couvent. D’abord 6 religieuses vont en faire un orphelinat et une école pour 25 filles. Avec les fruits du tourisme et le partenariat d’une entreprise en énergie nucléaire, elles réhabilitent leur couvent, elles agrandissent les bâtiments pour un orphelinat de 80 filles.

hera-iulia-ludmilla

Depuis ce temps des recherches sont menées pour retrouver la source. Il y a beaucoup de lacs beaucoup de sources autour du village. Les cosaques, Iulia en tête découvrent la source sainte.

hera-alexandrov-source-4 hera-alexandrov-bagna-1 hera-alexandrov-source-3 hera-alexandrov-3

En 2006 elle lance les travaux, pour un batisphère, aménage un accès sécurisé à la source, construit une porte pour ouvrir le passage au lieu saint, voue la source à la sainte icone Tikhvine de la mère de Dieu.

hera-chapelle-alexandrovEn 2010 Iulia commence avec son armée la construction d’une chapelle pour prier les morts qui ne sont pas dans le cimetière et ceux qui vont mourir. Ce n’est pas courant en Russie de construire près des sources saintes des églises ou tout autre monument. Les cosaques ont une tradition qui vient du sud de Rostov sur le don. Iulia mène la construction malgré le refus du monastère. La construction reste inachevée faute de moyens. Nous devions aider Iulia et les cosaques à finir cette chapelle en leur apportant un peu de nos moyens. Mais voilà maintenant que faire? Est-ce que le monastère va laisser cet ouvrage en l’état? ou bien grâce aux subsides de l’énergie nucléaire finir cette chapelle. Qui va remplacer Iulia?

hera-alexandrov-source-1Nous nous dirigeons vers le lieu saint, nous nous enfonçons dans une forêt de sapins et de bouleaux givrés, le sol craquait sous nos pas, et nous avons atteint la source. Des hommes remplissaient des bombonnes. J’ai pu les filmer, ensuite nous sommes allés vers un cabanon de bois. Des icônes à l’entrée, Ludmilla se met à prier je fais de même, alors elle m’autorise à pénétrer dans ce cabanon, et là, un trou d’eau glacée, des marches. Elle m’explique que c’est le batisphère pour le 18/19 janvier

 

hera-alexandrov-bagna-2Dire qu’il suffit d’une prière pour se baigner le 19 janvier dans cette eau sans tomber malade. J’ai du mal a y croire surtout a cet instant ou ma fièvre trouble ma vue, ma gorge me brûle, j’ai soif, j’ai mal aux chevilles et aux poignets. Je respire l’air glacé comme je boirais un  grand verre d’eau fraîche. Tenir coute que coute.

 

Dans la nuit du 18 au 19 Janvier la Théophanie (épiphanie) les fidèles se baignent dans des plans d’eau gelée. L’eau est bénite c’est le souvenir du baptême du Christ. Tous les eaux ce jour là sont saintes.

Je me rapproche de la source où m’attendent mes amis du printemps.

hera-alexandrov-source-2Ilga m’a offert du pain pour la route, et maintenant Ludmilla m’offre de l’eau sacrée, si elle n’aggrave pas ma bronchite, elle me guérira. Allez j’y crois. Je bois… Ah!!! C’est bon ça, j’avais tellement soif. l’eau froide descend le long de mes poumons. J’ai mal… Je dois continuer. Tout à l’heure je vais avoir droit à un thé bien chaud. Tenir le coup. Ne rien montrer pour suivre le sens du voyage.

 

 

 

Nous raccompagnons Ludmilla chez elle dans sa datcha. La maison familiale où elle vit seule aujourd’hui et où elle finira sa vie. C’est une maison très confortable, des tapis suspendus aux murs pour isoler, la cheminée nous offre une bonne chaleur. Des livres partout des photos de sa famille passée et de ses enfants tous médaillés par l’enseignement, leur photos en noir et blanc dans un dossier qu’elle va feuilleter comme pour me présenter ses chers absents.

hera-ludmilla-2 hera-ludmilla-3 hera-ludmilla-4

Christine tu ne feras pas mon ITW avant il faut manger la soupe, oui et un œuf au saindoux, puis des gâteaux secs au chocolat avec du thé. Verrait-elle ma faiblesse? La soupe de poulet aux trois simples légumes, l’œuf frit dans du saindoux, et ce thé sucré à la confiture de fraises qu’elle fait elle même, resteront dans ma mémoire. Comme je suis ridicule avec ma carte postale de Jeanne d’arc et mon flacon de parfum de luxe made in France. Pourtant ça lui fait plaisir. Elle se livre enfin.

Ludmilla est retraitée de l’enseignement supérieur. Elle est née à Makhra, et ils ne sont plus que 2 ou 3 dans ce cas là, les autres se sont les moscovites qui viennent construire leur nouvelles maisons.

Elle va cherche l’eau dans son puits. Pendant l’hiver c’est impossible alors on utilise la neige ou mieux l’eau de la source.

Iulia et moi nous avions un lien très fort, nous n’avions aucun secret l’une pour l’autre, le village est trop petit. Je ne peux pas dire que c’était une amie. Nous ne nous sommes jamais fait de confidences. Tiens revoilà cette définition qui revient!

hera-ludmilla-5

Je suis très heureuse que des étrangers s’intéressent à notre pays et viennent à notre rencontre. Je suis fière de montrer mon village et mon pays. Je ne comprends pas les gens qui partent à l’étranger pour y vivre.

 

 

Les lieux saints comme cette source doivent en Russie rester le plus possible authentiques et naturels.

Nous faisons l’ITW.

Si vous aimez la voix parlée russe, la voix de Ludmilla nous parle de son village:

Un extrait de l’ITW: Pourquoi la source est-elle sainte?

Je pense à mes amis photographes, cinéastes Christophe, Roger, Lucas. Ils m’avaient prévenue « tu devras être le metteur en scène, la script, la maquilleuse, l’assistante de réalisation qui doit mettre en confiance l’interviewé, l’ingénieur son, le caméraman, et l’interviewer… c’est tout je crois ». J’ai donné le meilleur de moi même, I did my best. Je l’ai fait en prenant du plaisir. Voilà les scènes que je préfère. Pourquoi voir les coulisses cliquez dessus.

  » je voudrais tellement la comprendre, quand les mots sont de trop »!

Ludmilla fini par dire « Iulia va nous manquer, elle était enthousiaste. C’est grâce à elle que nous avons des routes en hiver, elle organisait des concerts, des évènements pour la vie du village. Elle aidait beaucoup de gens pour leur faciliter la vie, elle réglait tous les problèmes même les problèmes d’électricité, elle va nous manquer… et maintenant les cosaques il leur faut un nouveau colonel…Iulia portait la natte des cosaques elle n’avait jamais coupé ses cheveux, c’est elle qui a confectionné tous les uniformes de notre armée cosaque » Cette orpheline arrive à Makhra, devient Attamane, prend sa place dans le village, un vrai mcgiver!

Iulia été respectée de tous, sa mort a été un grand choc. Tout le monde allait la voir, elle dispensait son bon sens, sa logique, son énergie sans compter. Elle a subi en deux ans 8 opérations la dernière la clouera au lit.

Avant d’arrêter l’ITW je demande à Ludmilla de s’adresser aux femmes de France » vivez le présent, ça permet de faire ce genre de rencontre, elle n’en revient pas elle même ». « Ce qui s’est passé aujourd’hui c’est… »

Le chauffeur a laissé les femmes parler entre elles mais à un moment donné il nous rappelle que nous devons repartir, il craint le mauvais temps, les difficultés de circulation.

J’ai eu du mal à quitter Ludmilla. C’est trop court.

Avant de partir Ludmilla me prépare mon paquet pour le voyage deux paires de chaussettes de laine qu’elle a fait elle même, pour « avoir bien chaud à Irkoutsk ».

Nous partons. Les russes sont beaux de cœur.

Un dernier regard sur le village depuis le lac gelé, le monastère…

hera-alexandrov-couvent hera-alexandrov-couvent-2 hera-alexandrov-village-1 hera-alexandrov-village-2

Tous les trois dans la voiture nous n’en revenons pas encore cette rencontre ce hasard la source cette mort annoncée. C’est la vie. C’est aussi les embouteillages, je m’endors dans la voiture je n’en peux plus.

Enfin dans ma chambre là je suis à la ramasse. Je regarde mes mails si mon rendez-vous avec la sénatrice a été fixé. Rien. Ce rendez-vous que j’ai tant sollicité ce rendez vous que j’ai tellement attendu aujourd’hui je ne le souhaite plus avec autant de cœur. Je me couche… Il est tard… je me soigne… je dors.

Pour savoir ce qu’il se passera le 21 mars