Si ce voyage m’a appris, c’est l’équilibre entre l’espace et le temps. Il n’est pas chose simple, nous allons tenter de l’expérimenter ensemble. Abandonnez votre agenda, votre horloge et adoptez pour quelques temps, le chronos de Gaïa, notre planète d’accueil. Au XVIIIème siècle, la Terre jeta son calendrier de l’ Holocène, pour débuter celui de l’Anthropocène. C’est à cette époque que la civilisation industrielle est devenue une telle force géologique qu’elle dicte l’avenir de la planète. Le réchauffement climatique est une preuve indéniable de son nouvel « organizer ». Si les scientifiques s’accordent à dire que l’ anthropocène est une période due à l’homme, que les indicateurs pour la définir sont la présence de nouveaux matériaux (aluminium, béton…), de nouveaux polymères organiques, de plastiques, de microparticules de carbone, et de tout un arsenal de produits chimiques parmi lesquels ceux liés aux explosions nucléaires, de l’augmentation de la quantité de plutonium dans les sédiments. Les preuves sont évidentes au regard des modifications de l’environnement (Déforestation, présence de zones industrielles, d’autoroutes, de villes) le fait 90 % de la photosynthèse sur Terre se fait aujourd’hui par des écosystèmes aménagés par les êtres humains. Et nous savons que ce modelage artificiel des milieux naturels couvre désormais près du tiers de la surface terrestre. Ces mêmes scientifiques ne s’entendent pas pour définir cette période comme géologique. Attendons leur rapport pour savoir si cette nouvelle époque sera dans le tableau de l’échelle du temps. En attendant nous ne pouvons être que du même avis que Paul Crutzen quand il énonce en 1995: «  L’empreinte humaine sur l’environnement est devenue si vaste et intense qu’elle rivalise avec certaines des grandes forces de la Nature, en termes d’impacts sur le système Terre ». Mais nous aurions pu dès le XVIIIème siècle être déjà d’accord avec Buffon qui théorisa tout ce qui s’est dit et écrit depuis la découverte de l’Amérique, sur les bienfaits de la déforestation et de l’exploitation agricole sur le climat.

Bien maintenant que nous savons que La concentration du dioxyde de carbone est à un niveau inégalé depuis 3 millions d’années, que le rythme de disparition des espèces est plus élevé que la normale géologique. Au point que les biologistes parlent désormais de la « sixième extinction », on fait quoi?

Nous connaissons les coupables, et après… Il serait temps que nous soyons tous « humains responsables ». Nous savons tous comment nous comporter. Nous sommes tous doués d’intelligence, et innover a toujours été le moyen de notre adaptation. Alors que nous l’appelions Green design, ou eco-conception, c’est bien dans ce domaine que l’homme doit innover. En 2007 HERA adopte un slogan, changer ou disparaitre. Aujourd’hui en 2016 Je parcours le monde pour me convaincre que le changement est en marche. Changement dans les modes de production, de consommation, et de vie. L’Homme se réconcilie avec la Nature. Il ne suffit pas de dire cela pour se convaincre que tout est fait et qu’il ne nous reste plus qu’à aller voir d’autre planète.

« Innovation » est devenue si commun dans notre langage que cela en est effrayant. Les slogans et autres discours s’adressent-ils aux bons interlocuteurs car enfin la jeunesse est fondamentalement naturellement innovante. Innover pour s’adapter au monde des adultes, innover pour vivre ensemble, innover pour devenir. Innovation devrait s’adresser plutôt aux hommes qui refusent le progrès parce qu’ils ont trouvé les meilleurs façon de vivre, et qu’ ils sont trop intelligents pour avancer sur des routes à peine tracées.

Mais innovation ne s’adresse que trop aux savants fous. Fasse que ces nouveaux Prométhéens, ne livrent pas nos foies en pâture.

Est-il si compliqué d’innover pour un progrès technique, qui intègrera à chacune de ses étapes une indispensable, éco-conception ?

Il est 7:30 du matin, le soleil perce petit à petit la brume, j’arpente le pont du bateau, il glisse sur une mer argentée de bronze. L’humidité poisseuse, les fumées grasses du bateau qui suit son cap à l’aveugle ne réduisent pas l’exaltation dans laquelle le désir de connaître cette Asie dont j’ai tant rêvé m’a mise. Lever les voiles du mystère, j’appelle tous mes rêves, je fais le comptes de mes notes et je dresse un plan. Je suivrai mon itinéraire jusqu’à l’étape finale mais je sais que pour vivre l’Asie il me faudra m’abandonner aux vibrations, aux parfums, aux couleurs. Puisse ce vent de la mer ouvrir mon esprit aux révélations que me promet ce voyage.

Près de moi, Nadir, un Stambouliote que j’ai connu quelques semaines avant mon départ de France, étudie ses carnets. Il s’est passionné pour cet itinéraire, pour l’eau et la recherche des innovations. Bien que connaissant parfaitement son pays, je crois que pour lui aussi l’aventure commence. Il sait que pour atteindre notre objectif commun il lui faudra abandonner une partie de ses connaissances, de ses a priori . Ce voyage nous demandera de suivre instinctivement des indices comme des énigmes conduisent les pas des enquêteurs. Nous nous faisons confiance, nous échangeons des sourires comme pour nous rassurer. Le voyage de l’autre côté peut commencer.

Notre prochaine étape Brousse, Bursa en Turc, représente face à la cosmopolite Istanbul, la pureté de la tradition ottomane, célèbre par ses bains. Elle est née d’un gonflement d’eau qui palpite, d’une source d’eau chaude au pied du mont Uludag (Olympos). A mes pieds un théâtre de verdure où s’étend la paix. Il fait bon, il fait tranquille. L’air est pur et le ciel clair. Brousse aux épais jardins, rose de pureté, rose d’indolence à l’ombre des platanes. Lieu de repos, de clarté d’équilibre, d’azur sans rides. Voyez au bas de la pointe du mont Olympe, ce ravisant mélange de maisons blanches, jaunes, vertes, bleues, ces blanches murailles, ces mosquées, ces dômes de plomb, et ces minarets colonnes aériennes d’où s’élance le chant religieux du muezzin. Bursa est en réalité une de ces cités fantastiques comme on en trouve dans les milles et une nuits. Après avoir embrassé d’un seul regard tout cet admirable ensemble entrons dans la ville. Ses habitants paraissent heureux, campagnard plus que citadins appuyé à leur montagne Olympe et étalés dans leur nature.

Si à Istanbul le moindre filet d’eau est porté par des fontaines, merveilles d’architecture ici point de sculptures mais l’onde à gros bouillon.

Bursa est environnée d’une magnifique nature. Des platanes séculaires, au tronc monumental projettent leurs bras sur une place qu’ils recouvrent toute entière. Si l’industrie automobile s’y est fortement développée, elle a été un haut lieu de la culture du mûrier, et de celle du ver à soie.

La ville est à l’avant-garde en matière de mode de vie urbain respectueux de l’environnement. Comme chacun sait la soie est un marqueur environnemental. Le Président Directeur Général de la très illustre société IPEKER, me reçoit le 18 mai. IPEKER en Turc veut dire soyeux. Alors que je lui confie être à la recherche des innovations autour de l’eau que pour se faire comme Ariane, je suis le fil de soie. Il évoque alors librement la devise de sa famille « Let our heritage be the key to your success.» Il va détailler l’ADN de sa famille, l’éco-conception coule dans les veines de cet homme.

La famille Ipeker a commencé son activité de production et de commerce de ver à soie à la fin du XIXème siècle, elle s’appelait alors Gaffarzadeler.

En 1920 C’est le début de l’industrialisation, de la filature

En 1930 C’est celui du tissage industriel et Attaturk baptise la famille Gaffarzadeler, du nom IPEKER, les soyeux.

Après avoir développé de nombreux points de ventes, ils intègrent la teinturerie, et l’impression. La société devient la plus importante unité intégrée de production de soie en Europe. La première imprimante automatique sur soie au monde y est installée.

Depuis les années 40 cette société n’a de cesse de se développer, elle ouvre des marchés dans le monde entier, et veut être à la pointe du progrès à toutes les étapes de la fabrication de la soie. Chacune des générations de cette famille depuis 1930 a œuvré pour le progrès.

En 1996, la quatrième génération croit à l’économie, à la mode, pour un environnement et une éthique durable et elle le prouve. Elle produit du CUPRO, une fibre de cellulose recyclée, dérivée des déchets de coton. Ultrafines, les fibres soyeuses qui collent aux graines de la plante de coton après qu’elles aient été égrenée sont travaillées grâce à une technologie innovante dans le respect de l’environnement pour donner un textile aussi soyeux que la soie. Cette étoffe laisse la peau respirer, régule la température du corps, antistatique, ses couleurs naturelles n’agressent pas la peau. Biodégradable, une fois usé, le vêtement enfoui dans la terre retourne à la Terre.

Luxe et modernité se conjuguent. L’étoffe suivra le drapé du créateur, vous enveloppera délicatement d’une seconde peau et s’adaptera aux exigences de votre vie active. Indéformable vos machines sauront l’entretenir. En 2011, fort de cette expérience, IPEKER lance newlife, un nouveau coton. En plus des avantages de CUPRO, il est antibactérien et offre une protection aux rayonnements solaires. Depuis 2014 IPEKER continue à investir dans l’éco-conception, avec pour obsession la réduction des émissions de CO2. C’est en 2015 que leur action éco-responsable est chiffrable 57 379 tons de CO2 en moins dans leur production et 431 170 arbres sauvés.

Membre de la zone industrielle de Bursa IPEKER milite pour l’usage des énergies propres, et soutient l’investissement dans un BRM pour le traitement des eaux usées, l’eau rejetée dans la nature est propre.

Mais comme tout cela ne suffit pas alors Monsieur IPEKER inscrit la collection été sous le titre « Aimer ce que vous faîtes, et respecter l’environnement ». Au moment de nous quitter il glisse dans le creux de ma main, un petit mouton en cupro, le messager des droits des animaux « la Vegan production » est en marche, un crayon de papier pour planter un arbre, et une bouteille d’eau minérale qui porte sa marque. 17 000 enfants atteints de leucémie et leurs familles connaissent IPEKER. Pour finir, il me tend sa carte de visite, une minuscule enveloppe dans laquelle des graines pour un arbre attendent. Je sèmerai mes arbres et je retournerai à Bursa, j’irai aussi sur les bords du lac de Come en Italie où réside Cristina, la représentante Europe, pour m’abreuver encore et encore de ce bel exemple d’homme responsable.